Des crédits carbone bidons? Oui, mais…

Lettre rédigée par David Beaudoin, Président et co-fondateur

Non pas que je veuille accorder à l’article du Guardian sur les crédits carbone plus d’attention qu’il n’en a déjà reçu, mais je crois que certains éléments doivent être mis en perspective. Avant de commencer, permettez-moi d’énoncer le message le plus important : si nous voulons avoir le moindre espoir de limiter le réchauffement climatique à moins de 1,5C°, la compensation carbone est nécessaire. L’humanité est responsable de plus d’émissions de GES que la planète Terre ne peut en absorber naturellement. Même dans le meilleur scénario de décarbonation mondiale accélérée, les émissions globales de GES demeureront trop élevées par rapport à la capacité d’absorption actuelle. Par conséquent, pour atteindre les émissions planétaires nettes nulles requises, il nous faut impérativement restaurer la capacité de la Terre à éliminer le CO2 de l’atmosphère au-delà de ce qu’elle peut actuellement. Et ça, c’est précisément de la « compensation carbone ». Nous en avons besoin! Pour ce faire, nous devons restaurer les puits naturels de carbone que nous avons détruits et arrêter de toute urgence les pertes supplémentaires.

La question ne devrait donc pas être de savoir si la compensation des émissions de carbone est une bonne chose ou non; d’un  point de vue planétaire, il est tout simplement impératif que nous le fassions! Tout aussi important et urgent que de réduire les émissions. Il est essentiel d’y réfléchir en lisant l’article du Guardian (note: au niveau des entreprises et des individus, la réduction des GES devrait primer sur la compensation).

En ce qui concerne l’article, les principaux points sur lesquels il est important de se pencher sont les suivants : 1- Il ne fait aucun doute que la grande majorité des projets et des crédits associés sont de « mauvaise qualité » ; 2- VERRA n’est pas le problème et 3- Les projets REDD ne sont pas nécessairement pires que les autres types de projets.

6$USD à 8$USD la tonne de CO2. Selon Trove Research et selon nos propres observations, cela semble être le prix moyen d’une unité de compensation carbone à la fin de l’année 2022 sur le marché du carbone dit « volontaire » (avec une grande variabilité selon les types de projets, les lieux, etc.) C’est environ 2 à 3 fois plus que le prix moyen de la dernière décennie. Si 8$USD devrait être l’incitation à développer un projet visant à réduire ou à éliminer 1 tonne de CO2 de l’atmosphère, c’est un prix ridiculement trop bas. Il s’agit là d’un signe clair d’une importante disponibilité de crédits de mauvaise qualité sur le marché.

Si VERRA, qui administre le Verified Carbon Standard (VCS), le programme de crédit le plus important au monde en termes de volume, est sous les feux de la rampe dans l’article, ce n’est que par nécessité. En effet, pour mener les recherches qui ont abouties à la conclusion mentionnée dans l’article, les chercheurs avaient besoin d’une base de données de projets existants suffisamment importante pour effectuer une analyse significative. La base de données VCS (alias le registre VCS) est la seule base de données suffisamment grande pour répondre à cet objectif. Si les chercheurs avaient inclus dans leur analyse des projets issus d’autres programmes de crédit tels que ACR, Gold Standard, CDM, Plan Vivo, CAR ou autres, les résultats auraient sans doute été similaires. Bien que chacun de ces programmes, souvent appelés normes, prétend être le plus rigoureux qui soit, la vérité est qu’ils sont tous imparfaits. Et il faut comprendre que, si les programmes d’octroi de crédits fixent les règles, ils ne sont pas responsables de la conception et de la mise en œuvre des projets, des calculs de compensation ou de la vérification par des tiers. Les règles devraient-elles être plus strictes et les mécanismes de surveillance plus solides ? Bien sûr que oui ! Mais plus les règles sont strictes, plus il devient difficile et coûteux de s’assurer qu’elles sont correctement appliquées. À 8$USD la tonne, force est d’admettre qu’il ne reste pas grand-chose pour l’infrastructure de soutien (c’est-à-dire les normes, les programmes, les VVB, les registres, etc.) pour encadrer correctement et garantir la qualité des crédits compensatoires mis en circulation. En un mot, les conséquences d’un prix du carbone inférieur à son coût et à sa valeur réels s’étendent à toute l’infrastructure du marché, qui souffre de sous-financement.

Parmi tous les types de projets, y compris les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, la gestion des déchets, la restauration des terres, la reforestation, la réduction de la déforestation, l’élimination technologique du carbone, etc., les projets REDD sont ceux qui impliquent intrinsèquement les plus grandes hypothèses. En effet, l’estimation de la déforestation évitée et des fuites (un concept largement incompris sur le marché) résultant d’un projet REDD implique tout autant de suppositions que de mesures réelles. C’est inhérent au type de projet, et il en sera toujours ainsi. Fixer des règles plus strictes et veiller à ce qu’elles soient respectées revient en fait à être plus conservateur dans les estimations, avec pour conséquence inévitable de générer moins de crédits, de réduire les revenus et de limiter la viabilité de certains projets. En fait, les réductions d’émissions qui en résultent sont probablement surestimées dans la plupart des cas (l’une des principales conclusions de l’article), mais au moins, le financement obtenu par la vente des crédits surestimés est souvent nécessaire à la réalisation du projet (conformément au concept d’additionnalité). D’autres types de projets, tels que l’efficacité énergétique ou les énergies renouvelables, entraînent des réductions de GES qui peuvent être plus facilement mesurées, mais le gain économique pouvant être obtenu par les crédits carbone est marginal et, le plus souvent, n’est pas nécessaire pour que le projet soit économiquement viable.

Il s’agit d’un environnement de marché complexe ayant évolué d’une manière très imparfaite. Toutes les parties prenantes du marché, y compris les programmes de certification et octroi de crédits, les développeurs de projets, les intermédiaires de marché, les courtiers et les acheteurs, devraient reconnaître le problème. Nous devrions reconnaître que le problème est systémique et qu’il est alimenté par un prix du carbone simplement trop bas pour permettre au marché volontaire du carbone de réaliser son véritable potentiel. Les organisations privées peuvent, par le biais de la compensation volontaire, contribuer à l’effort de compensation mondial requis, et les bénéfices tangibles deviendront évident lorsque le prix du carbone atteindra les 40$USD, 50$USD… 100$USD+ par tonne de CO2. D’ici là, nous devons nous rappeler que la compensation du carbone au niveau mondial n’est pas seulement souhaitable, elle est cruciale. Et nous devons avoir confiance que l’infrastructure du marché évoluera de façon à mieux soutenir la qualité et l’intégrité.

(du même auteur: 15 years of market dysfunction)

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